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Évolutions touchant la prévoyance professionnelle

Les paramètres d’un débat sur la politique de prévoyance fondé sur des faits

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Hanspeter Konrad lic. en droit, avocat,
Directeur de l’ASIP

Ces dernières années, l’environnement des caisses de pension est devenu plus dynamique, plus complexe, plus émotionnel et plus imprévisible. Cette évolution va encore s’accentuer, puisque des questions fondamentales d’organisation de la prévoyance vieillesse vont être discutées en liaison avec les élections fédérales de l’automne 2023 et les votations du printemps 2024 (notamment sur la réforme de la LPP). Dans ce contexte, je me permettrai de profiter de mon dernier article portant sur l’étude Swisscanto pour esquisser quelques paramètres souhaitables d’un débat sur la politique de prévoyance basé sur des faits.

La décision prise en 1972 d’asseoir la prévoyance sur trois piliers était une sage décision. Ces dernières décennies, notre système a montré sa capacité de résistance face à diverses crises telles que la crise financière et de l’euro, la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine ou la crise énergétique. Il n’en reste pas moins que la pertinence de notre système de prévoyance est régulièrement remise en question. Dans ce contexte, on se demande souvent si la pondération actuelle entre les trois piliers est encore adaptée à notre époque.

Sur ce point, il convient de souligner qu’en Suisse, le 2e pilier par capitalisation apporte une contribution essentielle à la prévoyance vieillesse, ­survivants et invalidité. Rappelons par exemple que les caisses de pension (CP), contrairement à de nombreux établissements financiers suisses et étrangers, ont surmonté sans grands problèmes de liquidité et de solvabilité deux « crises du siècle », celle de 2001/2002 et celle de 2008. De même, l’interaction entre le 1er et le 2e pilier déploie des effets stabilisateurs pour l’économie à long terme, et qu’il convient de préserver. Nous ne gagnerons rien à dresser en permanence un pilier contre l’autre. Au contraire, nous devons en communiquer les atouts respectifs, tels que le fait que l’avoir d’épargne constitué dans les CP appartient aux assurés et à personne d’autre.

Néanmoins, des réformes sont nécessaires. Mais renforcer un pilier au détriment des autres, ce serait compromettre la stabilité de l’ensemble du système de la prévoyance. Au contraire, il convient de tout faire pour que les deux piliers restent, à long terme, aussi performants l’un que l’autre, mais chacun avec un financement différent. À court terme, tout le monde se souvient encore de la période pendant laquelle les taux d’intérêt ont été faibles, voire négatifs, ce qui a posé des problèmes au système de la prévoyance par capitalisation. Mais à long terme, selon les calculs de c-alm, le 2e pilier a engrangé entre 1985 et 2021 un rendement de 3,58% (rendement réalisé selon une stratégie de placement moyenne après déduction de tous les frais de gestion) contre un rendement biométrique de 1,56% pour l’AVS (croissance de la masse salariale, déduction faite des frais de gestion). Il est donc erroné de dire que l’AVS affiche un meilleur rapport prix/performance. La diversification entre plusieurs procédures de financement est judicieuse.

Objectif de performance

Le débat doit être centré sur la fixation des objectifs dans le contexte des prestations découlant de l’AVS et de la prévoyance professionnelle pour les diverses fourchettes de salaires, l’adaptation du catalogue des prestations aux évolutions de la société ainsi que la justice entre les générations. Diverses études montrent que, lors de la création du système des trois piliers, l’objectif prévu en matière de prestations, de 60% du dernier revenu brut dans la fourchette des salaires LPP, était aujourd’hui essentiellement atteint. Ce qui est décisif, c’est que les promesses de prestations soient définies de manière réaliste sur le plan économique et sur le plan actuariel.

La fixation aussi réaliste que possible des paramètres techniques est la meilleure base de l’équité entre les générations. Des paramètres réalistes dans la prévoyance professionnelle sont nécessaires pour que les promesses de prestations puissent être tenues. En liaison avec la réglementation de la déduction de coordination, avec l’adaptation des bonifications de vieillesse et avec le moment du début du processus d’épargne, on peut trouver au sein de la prévoyance professionnelle des solutions garantissant le niveau ­actuel des prestations LPP ou qui le consolident même encore dans les fourchettes de salaires plus faibles.

Dans ce contexte, il convient également de relever que les différences, régulièrement critiquées, entre hommes et femmes pour les rentes de vieillesse versées dans la prévoyance professionnelle ne sont pas dues aux CP, mais s’expliquent essentiellement par la diversité des carrières professionnelles, les interruptions qu’elles peuvent présenter et le fait que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes. En raison du système LPP appliqué aujourd’hui pour le calcul des rentes, les travailleurs à employeurs multiples, surtout, sont défavorisés dans la prévoyance professionnelle obligatoire, quel que soit leur sexe. La réforme de la LPP vise à atténuer ce problème.

Financement

Dans la méthode par capitalisation, une partie des frais des prestations promises est financée par le produit de la fortune – on parle alors du tiers cotisant. Mais, dans ce contexte, se concentrer unilatéralement sur les frais encourus pour la gestion de la fortune de prévoyance, qui se chiffrent actuellement à 1’160 milliards de francs environ, c’est refuser de voir que les CP ne doivent pas avoir pour but de réduire au ­minimum les frais de gestion de fortune, mais ­d’atteindre un rendement net aussi élevé que possible.

Dans ce contexte, il est erroné de critiquer sommairement le fait que des milliards de francs auraient été captés par l’industrie financière et que de l’argent appartenant aux assurés disparaîtrait. De tels reproches sont dépourvus du moindre fondement. Dans la prévoyance professionnelle, la sensibilisation aux frais administratifs, notamment aux frais de gestion de fortune, est très élevée. L’exigence d’une plus grande transparence sur le plan des frais a été ancrée dans la réglementation avec la directive de la CHS PP « Indication des frais de gestion de la fortune » (2013).

Les frais de gestion de fortune dans le 2e pilier sont tout à fait compétitifs en comparaison internationale, puisqu’ils représentent environ 0,5% de la fortune gérée. En particulier, ils sont nettement moins élevés que les frais encourus par les investisseurs privés. On peut également douter de la pertinence des comparaisons entre les frais administratifs d’une CP et ceux de l’AVS. Les différences s’expliquent par les systèmes ­eux-mêmes et dépendent de l’autonomie, de la diversité et du nombre des CP et des solutions de prévoyance ainsi que des différences dans les obligations d’information sur les prestations et les cotisations, la marche des affaires, la composition des organes et la procédure en cas de liquidations partielles ou de fusions. Pour les frais, l’élément décisif est le contexte réglementaire. Pour des raisons systémiques, il est plus coûteux pour les CP que pour le 1er pilier de s’acquitter de leurs tâches d’information permanentes.

Concentration

Le processus de consolidation doit être apprécié de manière différenciée. Le paysage des CP doit rester hétérogène. Comme le montre également dans cette étude la présence de nombreuses caisses de petite taille ou de taille moyenne qui fonctionnent bien, la taille des CP à elle seule n’est pas déterminante pour la qualité des prestations. Ce qui compte surtout, ce sont les structures de direction ainsi que l’aménagement des plans de financement et de prestations. La proximité avec les entreprises est une chance pour les petites CP internes, car là, ce n’est pas la taille qui compte, mais la flexibilité et la connaissance directe des structures.

La communication, un levier de la confinance

Outre des décisions de fond basées sur des faits et des analyses approfondies, il faut finalement aussi tenir compte de l’image du 2e pilier, libéral et décentralisé ; il s’agit de renforcer la confiance des assurés dans la prévoyance professionnelle. En entendant des critiques floues et dépourvues de bases factuelles, de nombreux assurés se demandent de plus en plus s’ils pourront partir à la retraite sans craindre pour leur situation financière et en maintenant leur niveau de vie. L’avenir de l’AVS/de la prévoyance vieillesse fait l’objet de l’inquiétude citée en premier lieu dans de nombreux sondages. Dans un tel contexte, nous devons réagir plus énergiquement aux critiques dirigées contre le système. Les points forts du 2e pilier doivent être soulignés. Vis-à-vis du public, nous devons raconter de manière plus proactive (storytelling) quelle valeur ajoutée les CP apportent aux assurés dans la pratique. Il faut donner confiance dans la robustesse, la fiabilité et la stabilité des CP et du système de la prévoyance professionnelle, en se laissant guider par l’adage de Johann Heinrich Pestalozzi: « Faire confiance est un placement de capitaux inépuisable. » Une communication bien comprise ­apporte une contribution essentielle à cet égard.

Conclusion

Les CP et la prévoyance professionnelle dans son ensemble doivent éviter de mettre leur lumière sous le boisseau. Les résultats de la présente étude montrent à quel point les CP sont globalement performantes. Cela n’a rien à avoir avec de la poudre aux yeux, de l’optimisme de circonstance ou de la cécité envers les problèmes, mais avec un état d’esprit positif et s’appuyant sur les faits. Tout doit être entrepris pour que les organes de direction, composés selon les principes du partenariat social, puissent continuer à assumer sous leur propre responsabilité leurs missions pour le bien des assurés. Pour cela, cependant, nous aurons besoin ces prochaines années de solutions utiles et durablement stables offrant une marge de manœuvre suffisante, et qui – ce qui est décisif en Suisse – soient également acceptées par le peuple et par les États. Dans ce sens, plaider en permanence en faveur d’un 2e pilier fort, mais aussi libéral, est une mission passionnante, intense et difficile. Mais elle en vaut la peine. Je vous souhaite à toutes et à tous beaucoup de succès pour la mener à bien.