Gestion de la fortune de placement
Les caisses de pension viennent de traverser une année de placement couronnée de succès. Ainsi, elles ont pu aborder la nouvelle année 2022 en très bonne santé. Leur résistance va néanmoins rapidement être mise à l’épreuve : le revirement des taux d’intérêt qui s’accélère depuis le début de l’année entraîne des pertes de cours dans toutes les catégories d’actifs à l’exception des placements alternatifs.
En 2021, les tendances de placement des années précédentes se sont poursuivies dans les caisses de pension suisses. La quote-part des obligations a atteint son niveau le plus faible depuis dix ans en raison des faibles rendements attendus, tandis que conformément à la devise « TINA » (there is no alternative), la quote-part d’actions battait tous les records (voir illustration 1). Jusqu’à la fin de 2021, cette stratégie a porté ses fruits.
Ainsi, le tiers cotisant, c’est-à-dire le rendement des placements sur la fortune de la prévoyance professionnelle, a une nouvelle fois apporté la preuve éclatante de son importance. Les caisses de pension ont bouclé l’année 2021 en moyenne sur un rendement net de 8,4%. Cette année peut donc entrer dans les annales comme un très bon cru en comparaison à long terme, puisque sur la moyenne des dix dernières années, le rendement des placements a atteint 5,35%.
Ce rendement moyen de 8,4% s’accompagne à nouveau d’un éventail considérable de rendements (illustration 2). Comme les années précédentes, nous avons dégagé dans le cadre de la présente étude sur les caisses de pension des raisons structurelles aux différences de performance : par exemple la taille des caisses, l’allocation des actifs ou des particularités sectorielles. Ce ne sont là que quelques caractéristiques aboutissant à des divergences d’appréciation et d’exploitation des budgets de risque disponibles.
L’ancrage des stratégies de durabilité, que nous avions intégré au questionnaire pour la première fois l’an dernier, a continué à progresser en 2021. Les critères ESG sont désormais ancrés dans le règlement de placement de 33% des caisses (contre 25% l’année dernière), et dans les grandes caisses, la pénétration des critères ESG est nettement plus forte que dans les petites. La cadence hésitante de leur mise en œuvre est cependant sujette à critiques. C’est surtout le cas pour la mesure des intensités en CO2 des portefeuilles. S’agissant de l’ancrage effectif des objectifs de réduction du CO2, le tableau reste essentiellement négatif : il reste manifestement encore des mesures à prendre dans un esprit d’autorégulation.
Les choses se présentent mieux pour les caisses face aux deux grands défis que sont l’allongement de l’espérance de vie et l’évolution des taux d’intérêt. Ces dernières années, les caisses de pension ont mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer les rentes à long terme :
Si ce travail est fait, les bonnes notes du cahier des charges ouvrent de nouvelles chances. De bons rendements des placements, comme ceux de 2021, peuvent enfin autoriser de servir des intérêts plus élevés sur les avoirs de vieillesse des assurés en activité. Cette marge de manœuvre est particulièrement offerte aux caisses qui ont déjà alimenté leurs réserves pour fluctuation de valeur à hauteur d’au moins 75%.
Au total, les caisses de pension suisses ont pu se présenter en fin d’année 2021 dans un état de santé plus solide que jamais grâce à la robustesse apportée par les bons rendements de leurs placements. Les assurés en activité ont obtenu une bonne rémunération (en moyenne 4,25%) sur leurs avoirs de vieillesse, après de longues années de traversée du désert et de redistribution au profit des retraités. Les bons rendements des placements restent une condition nécessaire pour continuer à garantir une rémunération attractive des avoirs de vieillesse.
Faut-il déjà mettre à la poubelle ce genre de perspectives favorables, en raison du choc des taux et des défis de l’année 2022 ? Revenons ici à la simulation d’un choc des taux de 1% (=100 points de base) pour les emprunts en CHF, que nous avions montrée dans le cadre de la présentation de l’étude sur les caisses de pension en 2020. Nous avions estimé à – 4,8% les pertes de cours, y compris les effets de débordement sur d’autres catégories d’actifs dans l’ensemble du portefeuille, sans tenir compte des problèmes géopolitiques supplémentaires tels que la raréfaction des ressources due à la guerre en Ukraine ou les nouvelles difficultés d’approvisionnement suite aux mesures chinoises de lutte contre la pandémie de Covid-19.
Vu la forte hausse des taux au 1er trimestre 2022, nous tenons ici à montrer comment un portefeuille moyen de caisse de pension suisse réagit dans cette situation de stress.
De début janvier à fin avril 2022, la performance a été en moyenne de – 4,82% (voir illustration 3). Il y a un an, notre simulation d’un choc des taux calculait des pertes de cours sur l’ensemble du portefeuille de – 4,8%, ce qui reflétait donc très bien l’ordre de grandeur des pertes possibles.
Nous constatons par ailleurs que les portefeuilles à forte proportion d’obligations n’ont pas réussi à exploiter leurs qualités défensives : ils enregistrent une baisse de 5,2% et réagissent donc avec tout autant de sensibilité que les portefeuilles misant davantage sur les actions (–5,1%, voir illustration 3).
Après avoir relevé les nombreux défis pour assurer leur situation financière, les caisses de pension se sont retrouvées confrontées à un choc des taux consécutif à une manœuvre de freinage en matière de politique monétaire. À court terme, ce choc sera rude. À moyen et à long terme, tout dépendra de savoir si les caisses ont préservé leur capacité d’action dans l’intérêt des destinataires par des ensembles de mesures suffisamment exhaustives. Pour le contexte des taux d’intérêt négatifs et sa disparition suite au choc des taux du 1er trimestre 2022, la devise est :
Finissons-en vite !