Étude sur les caisses de pension en Suisse en 2021

Plaidoyer pour une responsabilité propre assumée

Les caisses de pension prises dans les remous du moralisme politique

imageHanspeter Konradlic. iur. avocat, Directeur de l’ASIP

On demande au 2e pilier de contribuer à un nombre toujours plus grand d’objectifs liés à l’écologie et à la politique sociale. Or, sa mission première est de fournir des prestations de prévoyance à des conditions avantageuses. En outre, les caisses de pension ont prouvé qu’elles étaient disposées à satisfaire volontairement aux exigences d’une politique de placement moderne connues sous l’abréviation ESG.

À en juger par les débats actuels autour de la prévoyance professionnelle, on pourrait penser que les caisses de pension (CP) sont censées résoudre tous les problèmes de politique (sociale). Celles-ci sont de plus en plus aspirées dans les remous d’un débat marqué par le « moralisme politique » qui empêche en fin de compte toute discussion de fond objective (voir « NZZ » du 16 avril 2021). Plus les attentes sont nombreuses, depuis la revendication de la paix dans le monde jusqu’à la lutte contre le réchauffement du globe, plus la marge de manœuvre des CP se restreint et plus les conflits d’objectifs deviennent fréquents.

Dans le cadre de ces discussions, il convient de mettre davantage en évidence les points forts de la prévoyance professionnelle qui se sont clairement fait sentir ces dernières années. Son potentiel de performance fait de la prévoyance professionnelle un deuxième pilier solide de la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité en Suisse. En outre, les CP, en tant qu’investisseurs à long terme de plus de 1’000 milliards de francs à l’heure actuelle, contribuent largement au développement de l’ensemble de l’économie. Dans ce contexte, il faut également souligner tout ce que les caisses de pension ont déjà mis en œuvre dans le domaine de la politique de placement orientée sur la durabilité. C’est ce que montrent notamment les données recensées dans le cadre de l’enquête Swisscanto 2021 auprès des caisses de pension.

Il y a déjà longtemps que les organes dirigeants responsables s’occupent de ces questions ; ils n’ont pas besoin de réglementation pour le faire. La politique de placement est et reste du ressort des organes paritaires, ce qui est une bonne chose, car ce sont également eux qui assument la responsabilité du résultat. Mais d’un autre côté, il n’est pas question de subordonner systématiquement le succès des placements à des objectifs écologiques. Les risques ESG et climatiques font partie des risques économiques et doivent être pris en considération en conséquence. De toute évidence, une telle attitude est dans l’intérêt à long terme des assurés, car ceux-ci ne doivent subir aucune perte de rendement.

Les institutions de prévoyance ne peuvent pas résoudre tous les problèmes sociaux, écologiques ou économiques. Elles doivent se concentrer avant tout sur leur mission première, qui est de fournir des prestations aux assurés à un prix avantageux. Par bonheur, la situation financière ne s’est pas détériorée, même en 2020. Au contraire, la résilience des CP a été mise à l’épreuve et les caisses ont montré qu’elles étaient solidement positionnées et capables de résister aux crises. Néanmoins, face à des taux d’intérêt négatifs et à la poursuite de l’allongement de l’espérance de vie, la pression en faveur des réformes des plans de financement et de prestations des CP va croissant. L’agenda de la politique sociale suisse va donc être fortement marqué par le débat sur l’aménagement de notre prévoyance vieillesse. De surcroît, même si, ces derniers mois, le changement climatique a été perdu sa place de sujet politique majeur au profit de la pandémie de Covid-19, il est de plus en plus demandé que les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise (critères ESG) soient obligatoirement pris en compte dans les stratégies de placement. Mettons donc en lumière ci-après, sous l’angle de la pratique, quelques aspects de la gestion de fortune et de la réforme de la LPP.

Gestion de fortune

L’ASIP ne cesse de souligner qu’outre les adaptations nécessaires sur le plan des engagements, il ne faut pas sous-estimer l’importance du tiers cotisant – le rendement de la fortune. Les CP en tant qu’investisseurs doivent gérer la fortune de leurs assurés de manière à garantir la sécurité des placements et leur rendement suffisant, une répartition appropriée des risques ainsi que la couverture des besoins prévisibles en liquidités. Cet objectif passe par une stratégie de placement axée sur le long terme et tenant compte de la capacité de risque et de la propension au risque des CP. Dans l’exercice de leur devoir fiduciaire de diligence, les responsables de CP doivent réaliser autant que possible un rendement conforme au marché tout en assumant des risques raisonnables.

Les caisses de pension doivent prendre elles-mêmes en charge les variations et les risques de défaillance. Le risque est donc porté en premier lieu par les assurés et par les employeurs. C’est pourquoi le législateur et les autorités de surveillance devraient faire preuve de réserve en matière de réglementation de la gestion de fortune. Les dispositions actuelles offrent aux CP de grands degrés de liberté pour aménager et mettre en œuvre au mieux la stratégie de placement retenue. Dans le cadre de ce processus, et comme le montre un sondage réalisé parmi les membres de l’ASIP, les CP sont parfaitement conscientes de leurs responsabilités éthiques, écologiques et sociales. De leur propre initiative, elles tiennent compte des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise (critères ESG).

Les résultats principaux du sondage de l’ASIP soulignent que les mobiles principaux de la mise en œuvre de critères ESG / de durabilité dans la stratégie de placement sont d’une part le fait que les CP sont convaincues du bien-fondé d’une approche durable, d’autre part le fait que celle-ci est utile pour la gestion des risques. Ainsi, plus de la moitié des CP utilisent déjà la liste des exclusions de l’Association suisse pour des investissements responsables SVVK-ASIR, et plus d’un tiers ont ancré une stratégie de durabilité dans leur règlement de placement. De 60% à 80% des CP qui ont investi en actions et en obligations s’intéressent à une stratégie de durabilité ou à la mise en œuvre de critères ESG, tant négatifs que positifs. Mais les stratégies de durabilité sont également appliquées par plus de la moitié des CP ayant investi dans l’immobilier et le private equity. Un tiers des CP participe à l’exercice des droits de vote dans les entreprises à l’étranger et 40% au dialogue avec les entreprises.

Les résultats de la présente étude montrent la diversité des modalités de mise en œuvre et confirment qu’il n’existe pas une seule voie royale pour mettre en œuvre les critères ESG. Mais il est tout à fait recommandable que les CP fassent volontairement rapport de leurs activités ESG.

Réforme de la LPP

Une fois de plus, nous sommes à la veille d’un débat politique difficile autour de la réforme de la prévoyance professionnelle (LPP). Les CP y défendent le point de vue que la solution doit être équitable et facile à appliquer, qu’elle ne doit pas provoquer de coûts inutiles et qu’elle doit éviter toute baisse des rentes. C’est pourquoi l’ASIP réclame dans le cadre des prochaines délibérations parlementaires l’abandon de la proposition du Conseil fédéral et l’adoption d’un modèle de réforme bénéficiant d’une large assise et reposant sur la proposition de l’ASIP, appelée voie moyenne / projet de l’ASIP. Ce modèle de réforme est désormais soutenu par de nombreuses associations telles que la Société suisse des entrepreneurs, GastroSuisse, Employeurs Banques, l’Association suisse des commerces de détail ou l’Union suisse des paysans. De même, diverses organisations de salariés soutiennent cette voie moyenne / projet de l’ASIP.

Pour pouvoir maintenir le niveau des rentes LPP en cas de réduction du taux de conversion minimum, il faut avoir accumulé un avoir de vieillesse d’autant plus important. Un moyen d’atteindre ce but est d’abaisser la déduction de coordination. Cela augmente le salaire assuré. Dans le même temps, cela améliore nettement la situation de prévoyance des assurés ayant des revenus plus faibles et, qui plus est, à des coûts inférieurs à ceux de la proposition du Conseil fédéral. En conséquence, cette proposition profitera notamment aux personnes travaillant à temps partiel, qui sont d’ailleurs souvent des femmes.

Pour une période transitoire de dix ans à compter de l’entrée en vigueur du projet, la voie moyenne / projet de l’ASIP prévoit une augmentation en pourcentage de l’avoir de vieillesse LPP pour toutes les personnes partant à la retraite. Cette augmentation doit être financée par le biais des provisions déjà constituées à cet effet au profit des assurés concernés. Ces dernières années, les CP ont été tenues de constituer de telles provisions en raison du taux de conversion LPP trop élevé. Le fait d’employer cet argent déjà existant pour préserver les rentes de la génération transitoire constitue la solution de loin la plus acceptable sur le plan social et globalement aussi la plus avantageuse. Cette solution fait disparaître des pourcentages de salaire supplémentaires et le détour coûteux par le biais du fonds de garantie. Dans ce contexte, il est incompréhensible que le Conseil fédéral ne veuille pas utiliser aussi pour la génération transitoire les provisions expressément constituées à cet effet.

Avec la voie moyenne / projet de réforme de l’ASIP, la prévoyance professionnelle minimale obligatoire peut être révisée de manière rapide, équitable et d’un coût raisonnable sans aboutir à une nouvelle redistribution inéquitable. N’oublions pas qu’un objectif important de la réforme consiste précisément à corriger une telle inégalité.

Conclusion

Toutes ces considérations montrent que la branche des CP ne s’oppose pas aux demandes de réforme légitimes. Mais il n’est guère judicieux de profiter des débats autour de la réforme pour imposer aux CP un carcan réglementaire de plus en plus serré. Tout au contraire, il est nécessaire de tenir compte des solutions éprouvées déjà adoptées au niveau des CP. En liaison avec la branche, il sera ainsi possible de réaliser, dans l’intérêt de tous, des solutions durables et pratiques au terme d’un dialogue ouvert et constructif.

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